Toujours plus de la même chose ?...

Publié le par Erwan BUREL - Haute Performance Professionnelle



Ou quand deux fois plus n’est pas nécessairement deux fois mieux...


1.     En faire deux fois plus… ou quand le mieux est l’ennemi du bien

Prenons une recette qui marche. N’importe laquelle. Quel que soit le domaine dans lequel elle est appliquée : sport, art, communication, ingénierie,… Dans la mesure où cette recette nous apporte satisfaction, il peut être tentant de vouloir obtenir une satisfaction deux fois plus grande en en faisant deux fois plus.

Quoi de plus logique, en apparence, de penser qu’une solution, une fois qu’on l’a trouvée et appliquée avec succès, doit pouvoir régler des problèmes de plus en plus vastes ?
Mais cent fois n’est cent fois plus de la même chose que dans l’abstraction des mathématiciens. Ce qui mène aux échecs les plus inattendus et « illogiques » consiste à faire rapidement passer les choses, au moment le plus crucial, de la quantité à la qualité. Et c’est ce saut qui surprend totalement la raison et le bon sens.

Nous prendrons 3 exemples issus de  domaines différents pour illustrer les absurdités ou les surprises qui peuvent résulter de cette « manie de la multiplication ».

 

2.     L’illustration par l’exemple

Exemple 1 : Des super-tankers explosifs !

il est de loin moins économique de transporter une même quantité de pétrole brut dans deux petits tankers que dans un seul de capacité double. En multipliant le tonnage par deux ou même par cinq, on a l’impression d’avoir recours à l’évidente solution du « plus de la même chose ». Mais, à la grande surprise des experts, plus de la même chose se révèle être une fois de plus quelque chose d’autre. Au-delà d’un certain tonnage en effet, ces géants flottants commencent à se comporter d’une autre manière que leurs prédécesseurs plus petits : ils doivent être gouvernés différemment. Plusieurs catastrophes qui se produisirent en plein jour et par mer calme eurent cette différence pour origine. De plus, on se rendit compte qu’ils ont la mauvaise habitude d’exploser quand on s’y attend le moins, c’est-à-dire quand ils sont en route vers les terminaux de chargement et que l’équipage s’affaire à arroser d’eau de mer les cales vides.

Exemple 2 : Des hangars micro-climatiques

Pour protéger les immenses fusées spatiales des intempéries (pluie et foudre), la NASA décida de construire des hangars aussi immenses. On construisait ce type de bâtiment depuis au moins 80 ans. On pensait donc qu’il suffisait de multiplier les dimensions des plus grands hangars existants par 10 ou peut-être plus.

Dans son livre très amusant « Systemantics » John Gall raconte qu’on remarqua qu’un espace fermé de cette dimension (c’est tout de même la plus grande construction du monde) a son propre climat intérieur, c’est-à- dire des nuages, de la pluie et des décharges d’électricité statique : il produit donc de l’intérieur les phénomènes contre lesquels il est supposé protéger !

Exemple 3 : Les découvertes surprenantes de la cuisine moléculaire

La cuisine est une technique, une culture, un art mais aussi... une chimie ! D'ailleurs, Hervé THIS, chimiste français, partage ses découvertes avec de grands chefs pour élaborer des préparation originales, très en vogue dans de grands retaurants parisiens. Lors d'une émission télévisée, sous forme de conférence, il explique qu'à l'occasion de l'élaboration d'une sauce contenant, notamment, de l'eau et de l'huile, battre deux fois plus le mélange conduit à diviser par deux les gouttes obtenues. Rien d'exceptionnel jusque là... Il fait alors constater à ses invités que la texture du mélange change. Mais plus encore, chacun(e) peut aussi faire l'expérience d'un changement de saveur !

Ainsi, nous le comprenons mieux : "Deux fois plus de la même chose" ne conduit pas nécessairement à deux fois plus du résultat initial obtenu.

Combien de projets majeurs et stratégiques ont ainsi « dérivés » ou « volés en éclats» alors qu’on leur appliquait les règles classiques du management et de la gestion de projet et les modes opératoires éprouvés des Best practices ?...

Pourtant, le bon sens le plus élémentaire devrait nous éclairer. Tel médicament soulage tel mal. Doubler la prise de ce médicament doublera-t-elle le soulagement ? Ou doublera-t-elle la vitesse à laquelle le soulagement sera atteint ? Absurde, répondrez-vous. Et vous aurez raison car il n’y a là rien d’automatique. Cela peut-être vrai, dans certains cas, faux dans d’autres (voire extrêmement dangereux et donc à déconseiller formellement !).

 

3.     A la lumière de l’expérience

Avec près de 12 années d’expérience en conseil en management, auprès de grands groupes industriels français, il m’est possible de témoigner de projets de très grandes envergures qui ont littéralement « planté ». Les objectifs étaient ambitieux, certes. Pourtant, les budgets validés étaient en rapport avec l’ampleur de la tâche, l’engagement des acteurs était au rendez-vous, leurs compétences indéniables. Faut-il préciser que les meilleures méthodes et les outils les plus performants de gestion de projet ont été employés ? L’organisation du projet était impeccable et le management à la hauteur. Alors, pourquoi les résultats obtenus étaient-ils si décevants ? A-t-on voulu aller trop vite ? N’a-t-on pas pris la peine de procéder à tous les tests et toutes les vérifications nécessaires ? Peut-être…

Il semblerait que les « causes » évoquées ne sont que des épiphénomènes de la cause principale de ce qui est vécu comme un échec. Plus l’ampleur du projet est grande, plus la complexité est élevée et plus le risque de passer à côté d’éléments important est grand.

Il serait plus exact de dire que la plus grande difficulté est de recenser et de comprendre toutes les relations entre les éléments du produit que le projet vise à réaliser.

Etude de cas d’un projet de réalisation d’une nouvelle application informatique :

Lorsque la nouvelle application a pour vocation de remplacer un vieux logiciel utilisé jusque-là, on pourrait croire que la tâche est simplifiée : « il suffit de reprendre les mêmes données et les mêmes traitements ». Le problème est que, bien souvent, avec le temps, on a fini par oublier la logique et les règles automatisées dans ces vieux logiciels. Refaire à l’identique est donc déjà très compliqué.

Que dire lorsque l’objectif est de fondre en une seule application ce que faisait une multitude de logiciels ? Les interactions entre les traitements et les flux de données est telle qu’il se produit des résultats tout à fait inattendu, donc non maîtrisés. Ce qui se traduit par des délais de calcul beaucoup trop longs, des bugs, des plantages, etc…

Il y a quelques mois, une célèbre application informatique du Ministère de l’économie et des finances à ainsi défrayé la chronique et un Ministre sommé de s’expliquer. Pour être intervenu très ponctuellement sur ce projet, force est de reconnaitre qu’en dépit de la compétence de tous les intervenants, le niveau de complexité atteint a abouti à un système soumis à des règles de fonctionnement implicites, donc ingérables. Le fort mécontentement de ses utilisateurs est aujourd’hui encore bien réel car le problème est loin d’être résolu.

 

Erwan BUREL - www.haute-performance.fr
HAUTE PERFORMANCE Conseil Formation Accompagnement
contact :
erwan.burel@haute-performance.fr

Nota : cet article est une version augmentée d'un article initialement publié le 16 juillet 2008

 

 

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