Les leviers de la motivation : la récompense de l'effort ?

Publié le par Erwan BUREL - Haute Performance Professionnelle




Pour HAUTE PERFORMANCE, toutes les questions portant sur la motivation au travail sont essentielles. Il ne saurait être question de performance sans traiter de la motivation même si certaines réussites patentes semblent reléguer la motivation au second rang (lire notre article : « Que doit la réussite à la chance ? »). Dans le cadre de la motivation au travail, il est habituel de croire que la recherche d’une relation équitable contribution/rétribution (ou encore récompense/effort) soit prédominante. Et pourtant, l’expérience viendrait contredire cette idée reçue…



I - Ce que disent les chiffres...

Je rapportais récemment, les résultats d’une enquête sur la motivation du travail en France (lire notre article : « La motivation au travail : résultat d’enquête »). Il était alors apparu que :

30 % des salariés se disent « tout à fait » d'accord avec l'idée de travailler avant tout pour gagner leur vie.

"Pour ceux-là c’est bien un indicateur de moindre investissement au travail, corrélé à la perception d’un faible retour sur investissement. Mais, pour l’ensemble des salariés, la relativisation de la place du travail dans la vie est un acquis qui n’est pas uniquement un indicateur de faible vitalité au travail. On veut réussir sa vie dans tous les domaines, on a de multiples centres d’investissement, que la vie professionnelle doit permettre. »  (dixit Sociovision)


Ainsi, ce ne serait pas le cas de 70% des salariés !...



II - Les leviers de la motivation :  soyons pragmatiques !

Nous avons rarement le choix de travailler ou non. Par contre, nous disposons tous d’un éventail de choix, variable d’un individu à l’autre certes. Mais surtout, nous pouvons tous élargir notre éventail de choix de travail …

Toutefois, je n’ai jamais cru que nos actes étaient guidés par des décisions absolument rationnelles. Tout simplement parce que la simple conscience de mon propre fonctionnement m'a démontré le contraire. L’observation des personnes que je cotoies ne plaide pas non plus en faveur de cette « Théorie des choix rationnels » qui a notamment imprégné la pensée des économistes et des sociologues.

Théorie qui ne parvient à expliquer nos comportements qu’a posteriori. Elle échoue à prédire les comportements : nous ne savons toujours pas prévenir les crises économiques (qui résultent des comportements des acteurs économiques et non d’une « mécanique » qui en seraient déconnectée).


Aux sources de l’engagement dans l’activité


Au fond, si connaissions parfaitement les ressorts de la motivation de nos actes il deviendrait plus prévisibles donc contrôlables. C’est bien pourquoi les praticiens du management comme du marketing sont toujours en quête de compréhension des motivations de leurs subordonnés ou de leurs prospects (clients potentiels).

Comprendre les motivations d’un individu est une clé fondamentale pour obtenir qu’il décide de s’engager dans l’action : réalisation d’une activité professionnelle ou acte d’achat (au sens large).



Comprendre la motivation : que de théories...


Les théories de la motivation sont nombreuses. Certaines s’appuient sur d’intéressantes expérimentations. Toutes contribuent à mieux comprendre ces leviers qui nous font agir et réagir. Je ne présenterai pas ici un pensum des théories existantes, une rapide recherche sur internet fournira toutes les informations en la matière.


De la théorie, retenons une idée simple : le sentiment d’équité se mesure par le ratio Rétribution/Contribution.

Autrement dit, ce serait le rapport entre ce qui est gagné et les efforts fournis pour acquérir ces gains qui permet à un individu d’apprécier si la relation à son employeur est équitable. Bien entendu, la notions de gains comprend tous les revenus financiers qui en découlent (salaires, primes, intéressement,…) et tous les avantages liés à son poste (avantages en nature mais aussi Comité d’entreprise, …).


Dans cet ordre d’idée, il est couramment admis que les récompenses encouragent la réalisation de performances meilleures. Et pourtant...



III - Bousculons les idées reçues...

La récompense n’est pas un levier universel !


Un nombre grandissant de recherches suggère que cette « loi » n'est pas aussi universelle qu'on le pensait. Les psychologues ont mis en évidence que les récompenses peuvent diminuer le niveau des performances, surtout si la performance à trait à la créativité.


Des recherches de premier plan [1]  montrent que l'intérêt intrinsèque pour une tâche, le sentiment qu'une chose vaille la peine qu'on la fasse pour elle-même, décline de façon caractéristique lorsqu'on récompense la personne pour accomplir cette même tâche.


Dès lors, la clef réside dans la façon dont la récompense est vécue. Si nous en venons à considérer que nous travaillons pour obtenir quelque chose, tôt ou tard nous remplacerons le « J’ai envie de faire… » par « Je dois faire… ».


Généralement des contraintes telles que le respect des délais, les méthodes imposées et autres exigences de réalisation d’une activité inhibent la créativité. Néanmoins certaines personnes continuent de faire preuve d’une créativité élevée malgré de telles conditions (ou peut-être grâce à elles ?...). [2]



Management directif or not ?


La découverte n’est pas anodine : motivation, créativité et innovation semblent résulter du respect de son propre rythme de travail et du caractère directif ou non du cadre de réalisation de la tâche considérée.


Explications

1. Travail non dirigé et rythme d’activité naturel (spontané)


Quand « quelque chose » en moi se décide « spontanément » à la réalisation d’une activité, je choisis non seulement l’activité mais aussi l’ensemble de ses conditions d’exécution. Il en résulte une satisfaction. Je respecte mes envies et peut donc interrompre la tâche à tout moment par le seul jeu d’une distraction (quelque chose d’autre m’attire) ou d’une lassitude. Je trouve immédiatement ma récompense : j’ai réalisé par moi-même quelque chose qui satisfait mes envies les plus spontanées.



2. Travail dirigé, exigences, contraintes et rythme imposé


A contrario, quand je dois exécuter cette même tâche à un moment et dans des conditions que je n’ai pas choisies alors je suis contrarié dans mes « envies ». Il en résulte une forme de frustration. De plus, je me sais « contrôlé » par ceux-là qui me payent. Mon appréciation personnelle passe alors au second plan. Le regard de l’autre conditionne mes actes : si mon travail ne lui plait pas, je « devrais » recommencer. Alors, bien sûr, dans le cas du travail dirigé, contrôlé et rémunéré , on doit se convaincre soi-même de continuer à travailler. Le dialogue intérieur doit venir soutenir l’effort : « il le faut parce que… ». « IL FAUT SE MOTIVER », tout est dit… C’est une quasi double contrainte [3] : une partie de moi-même doit convaincre l’autre.

 


La logique paradoxale nous ouvre les portes d’un usage concret de cette découverte en résolution de problème !


Une anecdote illustre à la perfection l’usage  intelligent et concret que l’on peut faire de cette « découverte ».


Un homme d'un certain âge, fatigué des sarcasmes des enfants du voisinage, finit par inventer un stratagème. Il offrit de donner un euro à chaque enfant qui reviendrait le mardi et qui lui hurlerait à nouveau ses insultes. Ce qu'ils firent avec zèle et reçurent leur argent ; mais il leur dit que le mercredi, il ne pourrait leur donner que 25 cents. Quand ils revinrent, ils l'insultèrent à nouveau et reçurent leur monnaie. Pour le jeudi, le vieil homme annonça que le montant ne serait que d'un centime. Les enfants estimèrent que l’effort n’en valait pas la peine et décidèrent de ne plus revenir.


Ceci n’est pas sans rappeler les travaux du courant de Palo Alto [3] dont la compréhension des paradoxes de la communication et de la conduite du changement ont permis l’élaboration de techniques de recadrage incroyablement efficaces.



III - Et pour quelques exemples de plus...

Au-delà de l’anecdote, c’est tout un ensemble d’applications opérationnelles (donc très concrètes) qui s’ouvrent à nous. En voici quelques exemples :


Dans le domaine de l’éducation

De longue date, certaines écoles dites « alternatives » prônent le travail non dirigé et un rythme d’activité naturel (spontané) pour leurs élèves (de la maternelle au lycée). Cf : référence [4] en fin d’article.

 

Dans le domaine artistique

La création « sur-commande » tend à s’industrialiser. L’artiste est connu pour ce qu’il a fait et non pour ce qu’il pourrait faire et encore pour ce qu’il aimerait faire. Ainsi, pour répondre aux exigences de délais, de signification et de format qu’impose un commanditaire, un artiste, sera contraint de reproduire peu ou prou ce qu’il a préalablement créé.

Sa créativité s’exprimera spontanément et librement en dehors de ces contingences et lui ouvrira, peut-être, de nouveaux débouchés…

 

Dans le domaine du management de projet (informatique notamment)

Certains logiciels (Linux par exemple) ont été développés grâce à des programmeurs anonymes, non rémunérés organisés en réseau informel. Chacun pouvant apporter sa pierre à l’édifice et bénéficier des avancées produites par les autres membres. Une révolution… sur laquelle nous reviendrons bientôt afin d’en tirer des enseignements qui dépasseront le domaine de l’informatique.



IV - Une critique de taille : le modèle non-directif est (potentiellement) subversif !


Le modèle non-directif (avec l’ensemble des caractéristiques présentées plus haut) incite chacun(e) à exercer son activité plus en fonction de sa personnalité et de sa nature qu’en fonction d’un emploi ou d’une fiche de poste.


Poussé à l’extrême, ce modèle admet qu’un individu, décidant et agissant selon sa nature, s’écarte des normes de comportements admis par la société. Il n’est plus sous le contrôle d’une autorité en charge de diriger et de réguler un groupe.


On comprend donc qu’un tel modèle heurte et aille à l’encontre des attentes des dirigeants, directeurs et managers qui se verraient contraints de renoncer aux signes tangibles de l’exercice du pouvoir (supervision, contrôle, évaluation voire coercition si jugé nécessaire).



Et le chien de Pavlov dans tout ça ?


Lorsqu’on étudie la notion de récompense, on aboutit tôt ou tard à l’incontournable « réflexe de Pavlov ». Ne négligeons pas l’existence du principe « récompense / punition en fonction des résultats obtenus » dans les relations humaines et particulièrement dans les relations de travail. Toutefois, il convient de relativiser ces notions tant elles sont complexes et subjectives. Ce n’est qu’affaire de communication. L’intention de celui (ou celle) qui s’exprime et agit (le « patron ») peut-être si différemment perçu par la personne qui reçoit et interprète le message (le « subordonné ») qu’il est bien difficile d’en déduire une règle générale.


Par ailleurs, ce point pose la question de la relation entre conditionnement et motivation… Mais ceci est une autre histoire…

 

En conclusion, il apparait encore une fois [5] que toute personne soit disposée à fournir le meilleur d’elle-même lorsque, poursuivant ses propres buts, elle décide par elle-même de son apprentissage, de son activité, de ses objectifs et donc de ses récompenses…




Erwan BUREL - www.haute-performance.fr
HAUTE PERFORMANCE Conseil Formation Accompagnement
contact :
erwan.burel@haute-performance.fr




Références :


[1] Teresa AMABILE est Professeur en Gestion des Affaires dans l’Unité de Management Entrepreneurial Management Unit de la célèbre Harvard Business School. Elle est aussi Directeur de recherche. Chimiste de formation, le Dr. Amabile est titulaire d’un doctorat de psychologie de l’Université de Stanford. Ses recherches ont pour objet l’influence de la vie au sein des organisations sur  les personnes et leurs performances. Initialement centrée sur la créativité individuelle, elle a étendu son travail aux problématiques de la créativité d’équipe et de l’innovation organisationnelle. Ses 30 années de recherche sur l’influence de l’environnement de travail sur la créativité et la motivation l’ont conduit à élaborer :


- une théorie de la créativité et de l’innovation


- une méthodologie pour favoriser la créativité, la motivation et la mise en place d’un environnement propice à la performance


- un ensemble de conseils pour maintenir et stimuler la motivation et l’innovation.

[2]  “Evaluation, Rewards, Competition and Contraints – Their Effects on Creativity Research results from Teresa Amabile” – Wayne State University – College of Lifelong Learning Interdisciplinary Studies Orogram – Winter, 1999


[3] J’invite le lecteur à lire les ouvrages des auteurs des travaux de Palo Alto et notamment leurs conclusions sur la « double contrainte » (double bind) et les stupéfiantes applications qu’ils ont su développer dans des domaines telles que le management, la communication, la vente mais aussi, et peut-être surtout, en résolution de problèmes des relations humaines.


[4] Ce qui suit est extrait de « Mon enfant et moi » de Nicole BLONDEL :


Les écoles FREINET : Célestin FREINET a mis en place une pédagogie nouvelle basée sur le tâtonnement expérimental, la gestion coopérative des moyens, l’expression libre, l’importance du projet. Les enfants participent aux décisions concernant leur emploi du temps, ne sont pas notés, règlent leurs problèmes inspirés du réel, apprennent de manière individuelle et mènent à bien, ensemble, un projet : journal de classe, jardin,…


Les écoles MONTESSORI : Les enfants sont mélangés par classe d’âge. Le mobilier est adapté à leur taille, ordonné et l’on trouve beaucoup de matériel : chaque objet permet à l’enfant de faire son apprentissage de manière autonome. L’enseignant ne corrige pas puisque l’activité recèle en elle-même le contrôle de l’erreur, il est seulement là pur accompagner l’enfant. Celui-ci choisit librement ses activités et peut travailler seul ou avec un camarade. L’éveil des sens est primordial.

[5] Responsabilisation et autonomie sont des valeurs fondamentales de toute démarche de performance. A plus forte raison dans une démarche de Haute Performance qui vise à se réaliser professionnellement. Nous invitons donc le lecteur intéressé à lire et relire nos articles dans lesquels nous montrons la force de ces valeurs dans de multiples domaines d’application : éducation, lean management, eco-performance et développement durable, développement commercial, systèmes d’information,…

 

 

Publié dans Motivation au travail

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P
Merci pour cet excellent article,<br /> <br /> Je pense qu'au fil du temps la récompense matérielle (motivation conditionnelle) fait disparaître la motivation intrinsèque.
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E
Merci pour cet article très instructif. Dans le domaine des forums collaboratifs et des réseaux sociaux ce qui prime ce sont les valeurs d’entraide et de partage, le besoin de reconnaissance par les pairs, le goût pour le débat et la dialectique, l’envie d’apprendre et de résoudre des problèmes, … (liste non exhaustive !)
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